Le 17 janvier, à 19h, la foule entoure déjà l’entrée du New Morning, profitant de l’air frais avant de s’engouffrer dans la salle. DJ Sims de Now Futur, le professionnel du sample (son instagram regorge de pépites diggées, incontournable!) s’occupe de l’échauffement entre samples et classiques des années 90, entre Al Wilson et La Furie et La Foi de la Fonky Family, entre Georges Brassens et Les quartiers chauffent de La Cliqua, enchaînant les classiques…
19h20, la Scred Connexion fait sa première apparition avec Koma qui interprète Epoque de Fou, sur une prod d’Haroun. Et on ne s’arrête pas si vite, on se rappelle que ce n’est que le début de la soirée et que les rappeurs vont défiler lorsque que Koma enchaîne avec Epoque de Fou (remix), invitant Ekoué (La Rumeur) à le rejoindre sur scène.
« Ce soir, le principe c’est de remonter dans le temps », c’est comme ça que la Scred Connexion nous introduit leur morceau suivant, nous rappelant que ce soir les puristes seront servis, avant d’embrayer sur le classique :
« Peut-être qu’on reste cool, mais sur le beat on gaze
On fait flipper la France, comme la bouteille de gaz »
On enchaîne dans le classique et le défilé de rappeurs iconiques continue avec les X (X-men) venus nous interpréter un extrait du mythique projet Time Bomb, histoire de nous montrer que Ill & Cassidy n’ont pas pris une ride et on est vite convaincus, Ill toujours aussi habile. Ces deux là enchaînent sur le monument du rap français Retour aux Pyramides :
« J’ai de la force pour les frères, où est mon trône ?
Retour aux pyramides, nique les clones »
Les membres de la Scred continuent à égrener les classiques, Morad venant interpréter Le Beat qui tue, au terme duquel on reste stupéfaits que les sons de la Scred aient si bien survécu aux années, toujours aussi incisifs et d’actualité.
20h30, c’est au tour de Busta Flex de nous ramener dans les nineties, de nous rappeler qu’il fait son job à plein temps avant d’interpréter l’intemporel Pourquoi et on regrette un peu l’époque où ce genre de clip passait sur M6…
« Pourquoi le ciel est bleu, pourquoi l’on vit mieux à deux
Pourquoi l’argent et le pouvoir rendent les amis dangereux »
Il enchaîne avec son titre Majeur avant la première entracte.
A 21h15, on retrouve un Rocé en forme sur scène qui remercie la Scred et souligne l’aspect subversif de toute cette entreprise « l’Etat va pas apprécier ».
Après un titre, la Scred Connexion laisse la place au mythique groupe issu du Val d’Oise : Ärsenik qui vont nous ravir avec un classique Sexe, Pouvoir et Bifton (qu’on avait déjà cité ici).
Lino fait ensuite sauter la foule avec des titres plus récents, histoire de montrer que Bors n’est pas resté bloqué dans la génération précédente et enchaîne : 12ème Lettre, Suicide Commercial, VLB; transition passé-présent assurée, Lino est sa propre relève.
« Ça passe par la voie des ondes tous les accros connaissent ça
Des grosses frappes à la seconde le style est reconnaissable »
Après une seconde entracte, la Scred revient pour deux de leurs morceaux les plus connus : Partis de rien et Tranchant.
Ensuite, le sample de Mobb Deep résonne « I’m only nineteen but my mind is old » et Flynt rejoint la Scred pour le classique :
« Le métier rentre tôt, et l’expérience vite
Quand on a pas de francs, juste des rêves trop grands dans une vie trop petite »
Flynt enchaîne alors avec son classique J’éclaire ma ville avec DJ Blaiz au platine, avant d’être rejoint par Nasme pour Rap Théorie pour lequel la salle du New Morning se verra emplie par la foule scandant « Le rap coupé à la variét’, on cautionne pas du tout! ». La soirée continue de nous prouver que la fougue et les valeurs du hip-hop se transmettent et survivent bel et bien.
On se délectera ensuite de 1 pour la plume de Flynt puis de sa Version Equipe pour laquelle il se retrouvera accompagné d’Ekoué, JP Manova (une mention pour son gros couplet!!), Mokless et Aki.
C’est ce dernier qui reprendra le flambeau alors que l’horloge marque 23h, et on découvrira en live son titre Ma mentalité avant d’en profiter pour prendre une pause bien méritée.
Jusque là c’est un sans faute pour la Scred Connexion qui arrive à faire succéder les artistes sans encombre, avec des transitions cohérentes et fluides, des prestations efficaces faisant revivre les plus grands classiques, pour le plus grand plaisir des amateurs. Qu’on se le dise et comme les artistes n’ont pas arrêté de le souligner, ce n’est pas tous les soirs qu’on voit une telle soirée et inconsciemment on se fait le rapprochement avec le « Woodstock du rap », made in Barbès. Et la suite de la soirée ne va pas le démentir.
On revient vers 23h25, un peu déçus d’avoir raté le set de JP Manova mais Morad nous console avec quelques solos.
On découvre ensuite Dino Killabizz qui interprète Pompei et Fais Couler le Kawa. Vient le tour de Sheryo avec Eux contre nous issu de la tape de Char du Gouffre.
C’est avec Haroun qu’on passe la barre de minuit, mettant la salle en feu avec Au Front et son magnifique sample cuivré ; avant d’enchaîner avec le classique Zonard à la fin duquel « Pour voir nos salles de concert pleines et faire un ton-car », il finira porté par la foule, avant de reprendre sur Bonhomme.
La suite du concert n’est pas dépourvue de surprises puisque Haroun enchaîne sur l’instru légendaire de Panam All Starz (issu de l’album de Sniper « Gravé dans la Roche »), morceau qui pourrait être, par son aspect choc des légendes et unitaire, à l’image de la soirée.
« A mon avis, tu f’rais bien d’retravailler ton intro
Car c’que tu racontes c’est tellement dit que j’pourrais t’backer en impro » rappera-t-il, avant d’être rejoint par Aketo (Sniper) qui vient lui aussi poser son couplet.
« C’est un grand moment contre l’industrie qui essaye de nous mettre des bâtons dans les rues », déclarera-t-il ensuite « Ce festival est gravé dans la roche » avant d’enchaîner tout logiquement avec ce titre (sans ses compères malheureusement). Il continuera avec un freestyle avec Haroun, qui reprendra le micro avec le titre Sur Scène et sa douce prod à la guitare.
« Ce soir l’empire on le contre-attaque »
00h20 c’est l’heure des remerciements, moment de faire encore une fois un pied de nez « à l’industrie et aux majors qui mettent des bâtons dans les roues » et de rappeler que ce soir est une belle démonstration de ce qu’on peut faire en indépendant, avant de reprendre de plus belle…
Vient maintenant le tour d’un des groupes très attendus ce dimanche (oui on aurait pu dire ça pour tous les artistes), j’ai nommé le groupe boulonnais le plus connu : Les Sages Poètes de la Rue au complet ! Qui commencent leur set pour notre plus grand plaisir, avec le titre éponyme de leur album sorti en 1995, j’ai nommé : Qu’est-ce qui fait marcher les sages qui va enflammer la salle, le refrain chanté par les anciens comme par les plus jeunes.
« Je spécule, peut être, mais j’aurai plein de pécule
Je ne fais jamais de clichés, je ne suis pas une pellicule
Non ! Aucun stéréotype dans ma bouche
Quelques uns peut-être sur Babylone ou bien les Bains Douches »
Après avoir interprété Dans la Sono du collectif Beat de Boul, les Sages Po’ nous ont réservé une surprise et nous font part d’une exclu extraite de leur prochain album. On sera toutefois un peu déçu du morceau, pas vraiment innovant et tristement nommé « A la recherche du rap perdu », un peu en décalage quand on voit le nombre de rappeurs talentueux qui ont su s’imposer dernièrement…
Il est 00h20 et le festival ne s’essouffle pas du tout, aussi surprenant que ça puisse paraître pour un dimanche soir. On retrouve Mokless qui, à son tour, va jouer quelques morceaux à lui, à commencer par Ca tourne pas rond puis va enchaîner par une exclue avant d’introduire un invité surprise avec qui il avait déjà collaboré : Guizmo.
Un nom de qualité à ajouter sur la longue liste des artistes présents à cette soirée d’anthologie, celui-ci va rapper deux titres à lui Normal sur la douce prod de DJ Lo’ avant d’enchaîner avec le plus récent Dans 10 ans.
Mokless va reprendre le flambeau avec Briseur de rêves avant de boucler la boucle des invités surprises en accueillant Despo Rutti, le chaînon manquant du trio Mokless – Guizmo – Despo Rutti, à l’origine du projet Jamais 203 sorti en 2013.
Celui-ci va interpréter le poignant Inenregistrable. Mokless reviendra reprendre le micro pour un solo et pas des moindres :
« On s’habitue à tout même aux trucs les plus claqués
C’est comme la clope tu commences par une et tu finis par l’paquet »
Après ce morceau lourd de sens, vient le tour du rappeur que l’on attendait plus, le mc de Bobigny Nakk Mendosa. Il commencera par un a cappella extrait de son couplet sur Invincible (Remix):
“La mort te chope entre deux “Happy Birthday”
Dans le rap c’est chaudé, l’honnêteté n’a plus d’buzz day
Le déficit, difficile d’y prendre goût
Car chez nous les fins d’mois difficiles durent trentes jours”
Ensuite il enchaîne avec la version originale d’Invincible et on est contents de retrouver la verve du MC de Bobigny. Après avoir lancé ironiquement « la tour 20 c’est trop vieux, on fait de la trap maintenant » il finira par interpréter ce classique qui ne manquera pas de nous rappeler une autre époque, celle de Bombattak…
Il faudra attendre 1h17 pour l’ultime classique de Nakk (dans mon top 3 en rap français), un pur plaisir pour amateur de rap français, j’ai nommé Chanson triste.
« Depuis qu’j’ai appris à compter
Moi, reufré, j’compte sur personne
Donc, touche pas à mon bonheur, nan, c’est ma conso perso
Les bons et mauvais jours s’alternent
J’ai pas l’terme exact, mais à long terme, mes rêves finissent dans un charter »
Aura lieu ensuite le passage de la Cliqua mais aussi de KoHndo (qui sort son album Intra-Muros le 5 février 2016, dont il a déjà sorti quelques extraits, notamment un avec Nekfeu (ici) et qui, assurément, ne lésine jamais sur la qualité musicale de ce qu’il propose.
On rentrera des étoiles plein les yeux, du bon son plein les oreilles et l’espoir que ce événement de transmission du hip-hop en entraîne d’autres de la sorte, en attendant la seconde édition de ce Scred Festival (et le Narvalow City Show organisé par Swift Guad). Le hip-hop et ses valeurs ne sont donc pas morts (comme l’affirment bien volontiers certains), les anciens côtoyant les plus jeunes (bien que clairement en minorité), les sonorités diverses se mélangeant. La boom-bap côtoyant la trap, témoignant d’une direction artistique éclectique de la soirée, on constatera avec plaisir que celle-ci n’était pas dans une optique passéiste réductrice du rap ni renfermée vers le « rap des 90’s ».
On pourra néanmoins reprocher une chose à l’organisation qui viendra légèrement tâcher l’esprit hip-hop de la soirée : les places étaient nominatives ce qui ne permettait pas l’échange ou la revente de places en cas de désistements, tout en sachant que beaucoup cherchaient à revendre des places et tout autant recherchaient à en acheter.
On passera un gros big up à toute l’équipe de la Scred Connexion qui respire la bonne ambiance autant que le bon son, tout ça dans une atmosphère de partage, ça faisait plaisir à voir. Une mention aussi à la Scred Family qui a assuré le bon déroulement de la soirée sans encombres. (La distribution de magazines spécialement faits pour l’événement suffit à montrer à quel point la Scred Connexion fait les choses bien!)
On appréciera également le fait que tout ceux là ont fait ça avec le coeur, sans trop de prétentions pour finalement arriver à mettre en place une première édition solide et vraiment mémorable, pour laquelle le public hip-hop s’est mobilisé largement (les préventes se sont vendus très rapidement).
Bref, une soirée à marquer dans les annales du hip-hop français.
William R
Vous pouvez retrouver la playlist de la soirée ici
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